Accompagner un chien est une aventure singulière, une leçon d’humilité. C’est se confronter à nos propres inclinations, à cette complexité qui nous lie et nous oblige à voir au-delà des apparences.
C'est entrer en résonance avec un individu pensant et sensible, qui, à chaque instant, ressent et s'exprime avec toute la profondeur de son être. C’est une exploration mutuelle des fragilités et des forces de l’autre.
Il est tentant de vouloir simplifier ce chemin, de le rendre plus linéaire et prévisible en utilisant des moyens universels. La friandise, si aisément accessible et si apparemment efficace, semble alors une solution évidente.
Pourtant, à bien des égards, l’utilisation de la friandise est une douce manipulation, séduisante mais incomplète de complicité.
L’accompagnement d’un chien dans son développement nous met face à nos contradictions et à nos désirs de contrôle. Il nous oblige à nous remettre en question et à nous interroger sur le sens que nous voulons lui donner.
Mes chiens m’ont appris que l’essence même de notre relation ne pouvait se nourrir d’un tel raccourci.
Cet article est l’aboutissement d'une réflexion patiemment menée au fil des années. Une réflexion façonnée par des expériences intensément riches mais aussi par les nombreuses rencontres humaines et professionnelles qui ont jalonné mon parcours. Mes doutes, mes déroutes et mes réussites ont su forger, parfois challenger, cette vision que je souhaite aujourd’hui vous partager.
Je vois dans l’utilisation de la friandise, en dehors de tout protocole de modification comportementale, une certaine dissonance, un manque de cohérence, une rupture d’honnêteté.
Si nous prétendons accompagner nos chiens dans le respect de leur intégrité physique et morale, comment pouvons-nous, à cette fin, justifier l’utilisation d’une telle ressource ?
Nos chiens ne se résument pas à une somme de comportements à valider ou à sanctionner. En les guidant uniquement par la promesse de combler un besoin biologique - sur lequel nous avons tout pouvoir - ne sommes-nous pas, en réalité, en train de les priver de leur libre arbitre ?
Car c’est bien cela, au fond. Il y a quelque chose de profondément désincarné dans l’utilisation quotidienne de la friandise, qui me semble réduire notre relation à une simple transaction.
Lorsque nous transigeons avec eux, nous les conduisons vers un choix illusoire, nous les réduisons à une simple équation.
Cette approche inductive n’encourage ni la réflexion, ni la compréhension. Elle n’appelle qu’à la réactivité, dictée non par la volonté d’agir mais par le besoin de satisfaire.
Quelle place laissons-nous alors au choix véritable ?
Lorsque la friandise devient le moteur de la relation, elle est une béquille, un raccourci qui, à chaque instant, nous rassure et nous fait croire que nous maîtrisons la situation.
Mais que se passe-t-il lorsque la récompense nous fait défaut ? Nous, pourtant invincibles en sa présence, devenons alors vulnérables en son absence.
Ce qui, à la base, nous semblait facilitant devient réducteur, nous rappelant notre propre faillibilité. La friandise finit par nous enchaîner autant que nos chiens. Elle nous plonge dans une profonde dépendance mutuelle.
Se libérer de la friandise, c’est se libérer de son emprise. C’est apprendre à récompenser autrement. C’est se défaire de cette habitude de toujours devoir ou attendre en retour. C’est admettre qu’aucune relation ne peut s’élever sans la liberté de chaque partie.
Cette dynamique d’échange conditionnel où l’acte n’a de sens que par la promesse qui l’accompagne ne correspond ni à ma vision de l’accompagnement de nos chiens, ni à celle de l’éducation de nos enfants.
Il me semble plus cohérent, plus honnête, de choisir la lenteur d’un accompagnement déductif plutôt que la rapidité trompeuse d’un conditionnement inductif.
En refusant d’utiliser systématiquement la friandise avec mes chiens, je leur laisse l’opportunité d’accéder à leur plein potentiel, d’exprimer leurs émotions et de rester acteurs de leurs propres apprentissages. En leur octroyant le temps et l’espace nécessaires pour observer, s’informer, analyser, mes chiens se trompent parfois, mais comprennent toujours.
Cette approche déductive ne donne aucun goût à leurs comportements. Mais elle leur donne du sens.
Lorsque mes chiens prennent une décision, ils ne la prennent pour personne d’autre qu’eux-mêmes. Cette proactivité est pour moi bien plus précieuse que n’importe quelle réaction conditionnée. C’est un engagement, non du corps, mais de l’esprit. C’est la liberté de choisir en conscience, de prendre des initiatives, de commettre des erreurs et de trouver des solutions.
Se libérer de la friandise est une danse sans filet. C’est renoncer au “contrôle absolu” et choisir l’authenticité d’un chemin incertain. C’est accepter la complexité du processus, car il est assurément plus difficile et plus long de construire une relation sans les artifices du renforcement alimentaire.
La vraie récompense ne se trouve pas dans la main qui donne une friandise mais dans ce lien non monnayable, dans cette transparence peinte de cohérence et d'honnêteté.
Tous les chiens méritent d’exister pleinement et d’être accompagnés vers l’autonomie dans le respect de leur individualité.
Bien entendu, la friandise, en soi, n’est pas mauvaise. Lorsqu'elle est utilisée avec justesse et discernement, la friandise a aussi sa place, précieuse et légitime, dans certains contextes d’accompagnement.
Dans l’accompagnement des chiens de refuge, victimes d'abandon, de négligence ou de maltraitance, la friandise prend même une dimension profondément symbolique. Elle devient un pont pour renouer un dialogue rompu. Elle relève de cette nécessité impérieuse d’apprivoiser l’autre. Elle n’est pas une fin en soi, mais une invitation nécessaire pour retrouver ce qui a été perdu, pour construire ce qui n'a jamais existé ou pour donner ce qui n'a jamais été offert.
Dans l'accompagnement des chiens sensibles, réactifs ou agressifs, la friandise prend le rôle de régulateur émotionnel. Lorsque le monde se dérobe sous leurs pattes, parce que trop fort, trop rapide, trop proche, la friandise sécurise, apaise, recentre. Elle devient un baume transitoire, une “solution pansement”, qui transforme un geste ou une situation inconfortable en une expérience plus supportable. Elle ne guérit pas les blessures, elle les panse. Elle ne remplace pas la relation, elle la soutient. Elle n'est pas non plus une finalité, mais un encouragement à la reconnexion, un moyen de progresser courageusement sur le chemin étroit de la résilience.
Dans le cadre rigoureux d’un protocole de modification comportementale, l'utilisation de la friandise est certes plus mécanique mais non moins essentielle. La friandise devient un moteur de contre-conditionnement, un levier qui tente de renverser des associations traumatiques ancrées dans la peur ou la douleur et d'ouvrir la voie à de nouveaux possibles.
Dans ces contextes, la friandise n'est ni dissonante, ni incohérente, ni malhonnête. Elle n'est pas un outil de pouvoir ou de contrôle, mais une proposition toujours respectueuse, réconciliatrice et non-contraignante.
Se libérer de la friandise, ce n’est donc pas la bannir, mais la laisser être ce qu’elle est : inconditionnelle.
Dernière mise à jour : 6 mai 2025
Aurélie Moulet
Éducatrice canin comportementaliste
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